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Regard critique

Matière Noire — Texte de François-Charles Gaudard

By Regard critique

Pour accompagner mon exposition Matière Noire, présentée à la Galerie Réplique à Rodez du 4 au 25 octobre 2025, François-Charles Gaudard, professeur de littérature et d’art, a rédigé une lecture critique de mon travail.
Je le remercie pour ce regard attentif et sensible, que je partage ici dans son intégralité.

François-Charles Gaudard est professeur émérite de langue et littérature françaises à l’Université Toulouse – Jean Jaurès. Spécialiste de la poésie des XIXᵉ et XXᵉ siècles, il consacre ses travaux aux liens entre littérature, arts visuels et témoignage, en explorant les formes du langage poétique et leurs prolongements esthétiques.
Fondateur de la revue Champs du signe (qu’il a dirigée de 2005 à 2009), il est membre du laboratoire de recherche LLA-CREATIS (Lettres, Langages et Arts) où il poursuit ses réflexions sur la création artistique contemporaine et les dialogues entre écriture et image.

Exposition Matière Noire – Jean-Jacques Valencak
du 4 au 25 octobre 2025 – Galerie Réplique, Rodez

Une fois poussée la porte, vous entrez dans un univers noir dont les tonalités se complètent et se répondent. Pas de grands formats, ni de petits. La technique utilisée par l’artiste est exclusivement celle du lavis, dont jadis les architectes se servaient volontiers pour un rendu paysagé de leurs esquisses. L’ensemble des représentations proposées est dominé par l’architecture, dans un parti-pris résolument figuratif. Le lavis ne supporte aucune approximation, aucune hésitation, aucun repentir. Cela suppose de l’exécutant qu’il a suffisamment exploré, documenté, médité et expérimenté préalablement son sujet pour construire, argumenter chacun de ses « tableaux » et l’exécuter en une seule « coulée ». Visiter l’exposition Matière noire est une invitation à voir et à entendre des œuvres achevées qui nous parlent des ruines et des atrocités qui font notre actualité, tout en nous invitant à reprendre cet impossible dialogue entre la vie et la mort qui ne cesse de nous hanter.

Les deux salles d’exposition s’inscrivent dans ce dialogue dont elles délimitent le parcours, elles s’achèvent sur une sorte d’autel éclairé, où Valencak a uni symboliquement les vestiges de la vie et les prémisses de son retour. L’être humain est poussière et retourne inexorablement à la poussière, mais la poussière donne vie à la végétation qui ne cesse de réinitialiser le cycle qui s’achève ou qui a été ruiné et momentanément détruit. Aucune présence humaine dans les « tableaux » de l’artiste, si ce n’est une fumerole qui s’échappe d’une ruine, quelques traces de vie végétale, un arbre, des feuilles… Mais l’absence obsédante de vie humaine repose sur le postulat même de la vie humaine, organisée en communautés, sous la forme d’une esthétique architecturale des bâtiments, blocs d’habitation, HLM des villes, ou villégiatures collectives des bords de mer, dans laquelle a été travaillée la disposition cubique. Les bâtiments intacts postulent l’évidence du vivant, de même que les ruines qui s’inscrivent dans une esthétique et une poétique du temps suspendu. Ici et là, discrètement, les coulures propres au lavis s’inscrivent dans la tristesse de l’absence, comme si les larmes du deuil pouvaient à la fois relever de l’injustice de la disparition de la vie et de l’attente de son renouveau. Ni émotion violente, ni colère, ni révolte… mais un constat : celui de la fatalité, tragiquement aidée par la folie humaine ou simplement issue de la destinée. Avec la conscience que ces lieux qui ne sont plus habités ou qui sont ruinés seront restaurés ou transformés ; et la certitude pour l’être humain que la seule manière de dépasser la contradiction entre la naissance et la mort est d’habiter pleinement sa vie.

Impossible de rester indifférent à cette Matière noire que Jean-Jacques Valencak nous invite à contempler et à écouter, non seulement pour ses qualités esthétiques et poétiques, mais parce qu’elle s’inscrit profondément dans les miroirs de ce que nous sommes.

François-Charles Gaudard